|   LAURENT  SUCHY Propos entendu d'une chaise et d'un fauteuil de bureau
              – J’aimerais qu’un jour, quelqu’un d'assis demande si nous avons des yeux et, si oui, dans quelle direction se porte notre regard. Sur son dos ou dans son dos ?
 – C’est une question de vieille chose, de chaise simple qui ne peut pas tourner : je suis fait pour un corps, le compenser, le distribuer. Qui s’assoie supprime la question éventuelle de mon regard.
 – C’est une leçon de choses simples. Qu'il m'ôte d’un seul élément, et je ne suis plus une chaise.
 Même alors si il s’asseyait, je n’en serais pas plus une.
 – Je vis sans mes accoudoirs, mais qu’une roulette me manque et je ne serais plus rien.
 – Et moi-même, je ne me demanderai plus si tu vois.
 – Au fond ce n’est qu’une question de solidité.
 – Tu tournes, mais j’y pense : un fauteuil comme toi n’est jamais apparié.
 – J’ai été conçu plutôt que trouvé.
 – L’évidence, ce serait que je sois quatre autour d’une table.
 – J’ai été conçu pour le travail, mais la première chose qu’il fait ? S'élancer, s'asseoir et tourner comme un manège !
 – Tu es beau et tu coûtes plus cher que moi.
 – quand je te regarde, je pense à une chose qui n’a pas forcément rapport avec toi.
 – Chut !
 – Mais ce serait comme dire que "tenir sa langue" et "tenir sa parole" signifie la même chose.
 – Je le crois, dit-elle. (Les chaises n’ont pas de langue à tirer.)
 
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